Le fond
La problématique difficile de l’identité, de la dualité et du conflit intérieur est au cœur de la réflexion d’Annabelle. Que ce soit l’injonction faite aux femmes (sur leur physique, leurs activités ou leur statut social) ou l’évolution personnelle dans notre société (où la norme est encore le seul modèle et où la différence est étouffée), la question est alors la même : comment faire coïncider nos convictions profondes avec le monde qui nous entoure ? Comment affirmer notre identité sans se sentir jugé? Pouvons-nous rester nous-mêmes, nous épanouir, sachant que nous sommes constamment influencés par la société, le regard des autres, les réseaux sociaux, l’argent ou encore le succès ?
Écoféministe et anticonformiste, Annabelle puise dans son histoire personnelle ces angoisses à deux vitesses, tiraillée entre ses convictions profondes et la norme actuelle. Elle analyse alors son propre parcours de vie et livre sur la toile une galerie presque autobiographique : si aucun des personnages ne lui ressemble vraiment, ils évoquent cependant tous ses inquiétudes, ses conflits, des personnes qu’elle a côtoyé ainsi que différents moments de sa vie.
La forme
La production artistique d’Annabelle est uniquement composée de portraits de femmes, représentées sur un fond uni, la plupart du temps noir, pour éviter toute assise spatio-temporelle. Qu’elle soit nue ou habillée, la fille est privée de tout statut social : elle n’est ni mère, ni épouse, et ne donne aucune information sur sa vie, comme son emploi. Le spectateur est alors libre de se raconter sa propre histoire, uniquement aidé par le titre de la toile.
Plusieurs thèmes se retrouvent alors dans les peintures : reflets, miroirs, masques, métamorphoses et nudité posent alors la question existentielle de la recherche de soi, de sa propre identité, mais aussi de la difficulté à assumer ses pensées et son corps au sein de la société. En effet, si certaines de ces filles ont un aspect tout à fait normal, d’autres se confondent avec des animaux et donnent naissance à des créatures hybrides et mythologiques, influencées d’une part par des artistes contemporains comme Hayao Miyazaki et Lewis Carroll, et d’autre part par l’écriture d’une thèse en archéologie grecque sur le rapport entre les femmes et les animaux dans l’Antiquité. Bois de cerf, cornes et pattes de bouc confèrent ainsi à ces figures féminines une virilité et une bestialité réservées d’ordinaire aux mâles. Ces personnages entament alors une transformation qui va les isoler du reste de leur espèce : c’est la différence, le refus de la norme, l’émancipation mais aussi la prise de pouvoir et l’indépendance.
La technique
Annabelle déchire, découpe et colle sur la toile des pages de livre et des cartes à jouer, qu’elle recouvre ensuite de peinture acrylique. La peau organique des femmes qu’elle dépeint laisse ainsi place à des images et des couleurs qui permettent de retranscrire ce qu’elles ressentent et qui elles sont. Le spectateur peut entrer à l’intérieur de leur esprit, partager leurs pensées et leur ressenti, toutes ces notions abstraites qui, d’ordinaire, ne sont ni visibles, ni palpables. C’est comme si leurs émotions se transposaient sur leur visage. Le tableau ne se regarde alors plus, il se lit, et les caractères inscrits sur les pages de livres deviennent un motif de remplissage à part entière.